lundi 27 juin 2016

Les "décasages", un conflit aux multiples visages



Mayotte, Agence France-Presse (AFP), 15 mai 2016.



"Une nouvelle action "d’expulsion pacifique contre l’immigration clandestine" visant particulièrement la population comorienne a eu lieu dimanche à Mayotte, à l’appel d’un collectif d’habitants d’une commune de l’île, a constaté une journaliste de l’AFP.

Plus d’une centaine de villageois ont sillonné les rues de Bouéni (sud), tapant avec des bâtons sur des casseroles et chantant, et pénétré dans les habitations de tôles des personnes qu’ils souhaitaient déloger de force. La plupart des cases étaient vides, les occupants, alertés, ayant déserté leurs habitations.

Les membres du collectif ont menacé verbalement les journalistes présents ainsi que des citoyens venant manifester pacifiquement contre ces expulsions, les sommant de quitter les lieux. Cette opération est la quatrième recensée depuis janvier.

Près d’un millier de personnes, selon la Cimade (association de défense des droits des étrangers), ont déjà été expulsées de leurs habitations, parfois détruites, dans les villages de Tsimkoura, Poroani et Choungi (sud). Parmi celles-ci, des femmes et enfants, ayant parfois passé la nuit dehors sur le bord de la route ; certaines personnes en situation régulière ont pu être relogées par des associations, d’autres en situation irrégulière ont été reconduites à la frontière par les forces de l’ordre."

Mayotte, l'estran.


Contexte


La population de Mayotte est passée de 45.000 habitants en 1975 à 230.000 habitants en 2016, dont 40 % d’étrangers. Terre d’immigration, Mayotte est aussi un lieu de chômage et d’émigration massive. Le taux de chômage atteint 22 % et près de 20 % des Mahorais ont quitté l’île entre 2002 et 2012. L’Administration évalue le nombre de clandestins entre 50.000 et 55.000 personnes. Le flux annuel de clandestins arrivant à Mayotte est estimé à 16.000 personnes. À titre de comparaison, ces cinq dernières années, l’État français a procédé à 87.790 expulsions d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire métropolitain et à 93.147 expulsions à Mayotte.

"Les clandestins, c’est nous qui les logeons, nous qui leur prêtons nos barques pour qu’ils aillent pêcher, notre terrain pour qu’ils le cultivent… Il faut que chacun prenne ses responsabilités". Un élu mahorais, lors des événements de Bandrélé, Mayotte Hebdo, n ° 132, septembre 2003, cité par Nicolas Roinsard , "Le 101e département", La Vie des idées, 8 mai 2012.

Le clandestin, figure de toutes les ambiguïtés


Les premiers visages de la crise. Les clandestins, stigmatisés par des tracts. "Vols, agressions et meurtres au quotidien" ; "Climat de psychose installé" ; "Système de santé débordé" ; "Écoles surchargées = enfants en danger = délinquance juvénile et chômage en masse".
Tract appelant à une manifestation et à des actions d'expulsions le 15 mai 2016.

La figure du clandestin est particulièrement ambiguë à Mayotte. Cristallisant toutes les peurs, rendu unanimement responsable de tous les maux, le travailleur migrant clandestin est rattaché aux habitants de l’île par de multiples liens culturels et familiaux et constitue un acteur essentiel de l’économie encore largement informelle de l’île.

Travaillant dans l’agriculture, la pêche traditionnelle et le bâtiment, les travailleurs migrants et leurs familles en situation illégale bénéficient de la solidarité active d’une partie des habitants de l’île qui les protègent des contrôles de la Police aux Frontières (PAF) et d’une toute relative tolérance de l’Administration qui ne poursuit pas leurs employeurs mahorais.

Deux visages de la crise


La crise des "décasages" succède aux incidents qui se sont déroulés en 2001 à Sada et en 2003 à Bandrele, destinés à chasser les familles des travailleurs migrants de ces villages. Mais contrairement à ces crises, la crise de 2016 vise aussi les Mahorais qui les hébergent ou les emploient.

Il est évident que les "collectifs villageois" sont convaincus que la présence des travailleurs migrants est motivée par l’accueil que leur réserve une partie de la population. Nombre de Mahorais leur procurent, pour des raisons économiques ou personnelles, du travail, un logement ou un espace pour construire un "banga", une parcelle à cultiver ou une toute relative protection.

La crise va donc logiquement commencer par des pressions exercées à l’encontre des Mahorais qui logent ou qui emploient des travailleurs migrants ; se développer avec des manifestations destinées à intimider les familles des travailleurs migrants tout autant que les propriétaires des logements ; s’amplifier avec les menaces formulées pour interdire les retours ; et atteindre son paroxysme avec le "grand voulé" festif permettant aux "collectifs villageois" d’afficher leurs soutiens au sein du village et de se compter.

Le deuxième visage de la crise oppose les Mahorais entre eux. Les "comités villageois" mobilisent les liens communautaires et coutumiers contre les Mahorais en relation avec les familles des travailleurs migrants. Ces pressions intracommunautaires sont codées et les violences ne sont pas physiques, mais sociales. Les opposants sont menacés d'ostracisme, une forme de mort sociale dans une communauté très soudée.

La troisième figure de la crise, détestable. Des familles bannies marchant le long des routes et les enfants déscolarisés, les premières victimes. Pour beaucoup, le camp de la Place de la République devient le visage de la xénophobie mahoraise et de la complicité tacite de l'État.

Le coup de force d'une minorité


Les activistes des "collectifs villageois" sont peu nombreux. Une centaine de personnes (AFP) pour une population de 6.000 habitants (Insee) à Bouéni. Cette minorité agissante qui manifeste pour intimider les familles des travailleurs migrants réussit à détourner à son profit les solidarités villageoises. Instrumentalisant les réseaux traditionnels, jouant les peurs et les clivages, elle obtient une forme de consensus autour de l’expulsion des clandestins.
La décision collective obtenue par les "comités villageois" semble suffisamment légitime à la population pour que la grande majorité des habitants qui accueille des familles des travailleurs migrants rompe leurs engagements et leur demande de partir. Rares sont ceux qui tiennent tête aux "collectifs villageois".

La réaction des autorités peut paraître ambiguë. Elles sont parfois jugées complices des collectifs. Il faut noter que si les membres des collectifs ne sont pas inconnus, les actions individuelles restent à la limite du cadre légal. Les agissements des "collectifs villageois" sont publiques, mais codées, difficiles à caractériser. L'ostracisme n’est pas un délit, l’expulsion d'habitants en est un, mais nombre de familles visées par les manifestants se sont enfuies de leurs logements avant les manifestations.
Le cadre légal commun conçu pour réprimer les délits individuels se révèle inadapté à une société traditionnelle marquée par l’entre-soi.

La quatrième figure de la crise. La rumeur, l’ambiguïté, les menaces implicites, les pressions collectives dans des villages encore très traditionnels, où la communauté villageoise est la source des identités ; où le groupe prévaut sur l’individu et les solidarités familiales, coutumières ou religieuses s’imposent aux relations interpersonnelles.
Menaces d’ostracisme à l’encontre de ceux qui soutiennent des travailleurs migrants.
Menaces suffisamment alarmantes à l’égard des familles de ces derniers pour qu’elles fuient avant même l’arrivée des cortèges.
Les intimidations collectives sont formulées de façon ambiguë pour ne pas pouvoir faire l’objet de poursuites, signe d’une aussi bonne maîtrise du droit commun que de l’art de manipuler les solidarités villageoises.

Une crise qui en annonce tant d'autres


Les "collectifs villageois" ont réussi leur coup de force. Face à ce qui leur semble être une impuissance de l’État à réduire la pression migratoire, ils se sont repliés sur la matrice sociale de l’île, la communauté villageoise ; ils ont instrumentalisé les pratiques traditionnelles en déshérence depuis la mise en place du droit commun ; ils ont imposé aux villageois une apparence de consensus légitimant l’expulsion des travailleurs migrants
Les institutions coutumières, devenues théoriquement caduques dans le cadre de la départementalisation, se révèlent toujours assez opérantes pour imposer une décision illégitime à une majorité d’habitants, les amenant à dénoncer leurs engagements individuels envers l’Anjouanais.

La petite minorité convaincue que tous les maux de l’île peuvent être attribués aux étrangers sera déçue. La délinquance, la déliquescence des systèmes éducatifs et sanitaires qui rongent l’île ne se résument pas à une surpopulation locale.
L'expulsion des travailleurs migrants ne fait que nourrir une crise économique larvée alimentée entre autres par le coût très élevé du travail, coût jusque là modéré par les faibles rémunérations perçues par les travailleurs migrants. Ce coût du travail disproportionné par rapport au contexte régional détruit les emplois comme les activités locales et attire les clandestins.

La Préfecture demeure en retrait. Les "collectifs villageois" ont réussi à s’inscrire aux limites du cadre légal. Les menaces restent ambiguës, les collectifs jouent sur les peurs.
Les autorités sont conscientes du rôle des travailleurs migrants dans l’économie insulaire tout autant que de la relative protection que leur accorde une partie de la population. Mais la crise offre l’occasion de réduire une pression migratoire gérée au quotidien à la limite ou hors du cadre légal. Dans la logique de la politique "du chiffre", elle tire parti de la situation en procédant à l’expulsion des familles de travailleurs migrants en situation irrégulière, légitimant l’action des "collectifs villageois".

Les travailleurs migrants sont les premières victimes de la crise. Dans le contexte de l’exode rural frappant la société mahoraise, ils ont toute leur place dans l’économie de l’île, se substituant aux jeunes générations qui délaissent les activités agricoles et artisanales.
Pour nombre de ces travailleurs en situation régulière, l’avenir s’annonce sombre. La pression que les "collectifs villageois" maintiennent sur la population rendra leur retour difficile. Ayant perdu leurs emplois et leurs logements, leur carte de séjour ne sera pas renouvelée.

Pour l'économie et les employeurs mahorais, la situation est difficile. Nombre d’activités ne survivent que grâce aux travailleurs migrants qui possèdent le savoir-faire traditionnel et acceptent des revenus très faibles et bien que supérieurs à ce qu’ils peuvent espérer sur leurs îles.
Dans un contexte économique régional très concurrentiel, nombre d’activités économiques sont condamnées à péricliter ou à disparaître.

La société mahoraise traditionnelle est la grande perdante de la crise. La manipulation des réseaux de solidarité familiaux et coutumiers par une minorité agissante est un coup très dur porté à sa légitimité. La crise laissera des traces profondes dans les familles et dans les villages.

L’ultime visage de la crise : la haine de l'autre


L’ultime visage de cette crise. L’image effrayante, relayée par les médias, de populations unies dans la haine, chassant de façon indiscriminée ses voisins, détruisant leurs biens pour empêcher tout retour et effacer jusqu’au souvenir de leur présence.
Une image détestable stigmatisant toute la population de l’île et la laissant sans beaucoup de défenseurs, mais suffisamment simple et directe pour se graver durablement dans les mémoires et oblitérer pour longtemps l’avenir de l’île.



Liens externes


La Cimade, "Mayotte : la chasse aux étrangers par la population est ouverte… et couverte" : http://www.lacimade.org/mayotte-la-chasse-aux-etrangers-par-la-population-est-ouverte-et-couverte/

Libération, Laurent Decloitre, les éventements de Bandrele, "Les feux de la haine à Mayotte." 13 novembre 2003" : http://www.liberation.fr/grand-angle/2003/11/13/les-feux-de-la-haine-a-mayotte_451671

Blanchy Sophie, "Mayotte : "française à tout prix" ", Ethnologie française 4/2002 (Vol. 32) , p. 677-687 : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2002-4-page-677.htm

Carole Barthès, "Effets de la régularisation foncière à Mayotte. Pluralisme, incertitude, jeux d’acteurs et métissage", Économie rurale, 313-314 | 2009, 99-114 : https://economierurale.revues.org/2376

Jean-Michel Sourisseau et Perrine Burnod, "Changement institutionnel et immigration clandestine à Mayotte. Quelles conséquences sur les relations de travail dans le secteur agricole ?", Autrepart 3/2007 (n° 43) , p. 165-176" : https://www.cairn.info/revue-autrepart-2007-3-page-165.htm

Nicolas Roinsard, "Le 101ème département", La Vie des idées, 8 mai 2012 : http://www.laviedesidees.fr/Le-101eme-departement.html

Nicolas Roinsard, "Des inégalités aux mobilités Outre-mer : une sociologie des migrations dans la France de l'océan Indien (Mayotte, La Réunion) " : Mobilités ultramarines

Duflo Marie, Ghaem Marjane, "Mayotte, une zone de non-droit", Plein droit 1/2014 (n° 100), p. 31-34 : https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2014-1-page-31.htm

Yann Gérard, "La place des clandestins dans la ville, Pratiques foncières et Comoriens à Mamoudzou (Mayotte)" : https://drive.google.com/open?id=0BwfMW-Jf25PCTldtXzZLd25sWHc

Carayol Rémi, "Mayotte : une société disloquée", Plein droit 3/2007 (n° 74), p. 7-12 : www.cairn.info/revue-plein-droit-2007-3-page-7.htm.

Senat, "Mayotte : un éclairage budgétaire sur le défi de l'immigration clandestine" : https://www.senat.fr/rap/r07-461/r07-4615.html




Lien complémentaire


Pour ceux que cette situation désespère, 4'15" de nostalgie : http://www.dailymotion.com/video/x8eeqs_fernand-reynaud-le-douanier_fun,



dimanche 22 mai 2016

L’agriculture mahoraise : "la forêt comestible"


L’agriculture mahoraise, la "forêt comestible", se développe selon le modèle de l'agroforêt, système forestier de polyculture multiétages dont les associations végétales et animales sont le fruit d'une gestion par les populations locales.

Comme la forêt tropicale naturelle, les systèmes agroforestiers ou "jardins-forêt" associent différentes strates de végétation tels de les grands arbres (fruitiers ou à coques), les arbustes ou arbrisseaux (petits fruitiers), les buissons (à baies ou aromatiques) et les plantes herbacées (légumes vivaces, plantes aromatiques, médicinales et utiles) :
  • Sous les grands arbres qui forment la canopée, cocotiers, manguiers, arbre à pain et jaquiers, se logent les arbres nains et arbustes, bananiers, citronniers, goyaviers et combawas entourés des buissons, caféiers, piments, citronnelles, curcumas.
  • Le sol est couvert par les plantes herbacées, ananas, manioc, canne à sucre, patate douce et igname, parmi lesquelles se distinguent celles qui rampent et celles dont la partie consommée est souterraine.
  • Enfin une strate verticale est représentée par les plantes grimpantes, poivre, barbadine et cardiospermum halicacabum : contre les deuils et chagrins d’amour et la fièvre.

"Le jardin-forêt tropical nourricier présente les mêmes étagements que la forêt vierge où des espèces de hauteurs variées coexistent et partagent la lumière et les nutriments."


Dans la compétition pour la lumière et les éléments minéraux, le rendement de chaque plante prise isolément est inférieur à ce qu’il serait dans un champ ou un verger conventionnel, mais la productivité de l’ensemble est très nettement supérieure pour une surface donnée.
La diversité des systèmes racinaires minimise la compétition dans un volume donné de sol. Les plantes les plus hautes réduisent les besoins en eau des plus basses en créant un microclimat humide sous leurs branches. Le couvert végétal permanent protège le sol contre le ravinement.

Dans son principe, le jardin-forêt, hâtivement jugée archaïque, fait preuve d’une réelle sophistication et cumule les atouts : forte biodiversité, protection du sol et recyclage des nutriments, maintien d’un microclimat favorable à la vie végétale et animale, maintenance des propriétés physiques et chimiques du sol, utilisation optimisée de la lumière et de l’eau, diversification et répartition des productions dans le temps, forte biomasse qui en fait un important puits de carbone.
Si l’on ajoute le moindre apport de travail humain, l’inutilité des équipements mécaniques, l’absence d’intrants, le contrôle de la plupart des attaques parasitaires, la résilience, la lutte contre l’érosion, la protection de l’environnement et une relative autonomie alimentaire locale, on a le tableau de l’excellence écologique.

Ce tableau idyllique ne doit pas masquer les défis auxquels est confrontée l’agroforesterie traditionnelle mahoraise. Dans un contexte de pression démographique intense, de crise migratoire et transformation des droits fonciers, les modes de gestion des terres se modifient. Les périodes de jachère sont réduites et des sols aux pentes de plus en plus fortes sont mis en culture. Ces évolutions entraînent une intensification du défrichement des forêts et une accélération de l’érosion des sols, ayant pour conséquence la création de padza (zones déforestées et stériles), la réduction de la fertilité des sols et du rendement des cultures, la dégradation du bilan hydrique, l'appauvrissement des écosystèmes végétaux et l’augmentation des sédiments dans les mangroves et dans le lagon.
Avec la fin des pratiques agricoles sur brûlis et des jachères décennales (défrichage et brûlis), l’optimisation des pratiques agricoles à l’aide de méthodes agroécologiques est un enjeu majeur pour l’île.

Liens externes


A. Madi, R. Cattet , C. Brocherieux, J. Baret, "Agroforesterie et culture biologique des épices à Mayotte", Alter Agri N° 19, 1996, p. 16-17 : http://abiodoc.docressources.fr/opac/doc_num.php?explnum_id=2483

Sylvain Deffontaines, office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (ODEADOM), "Rapport public de mission à Mayotte" : http://www.odeadom.fr/wp-
content/uploads/2013/12/3_Rapport_public_de_mission_a_Mayotte_Comp.pdf

Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt , Agreste, La statistique, l'évaluation et la prospective agricole "Mayotte : un territoire agricole en mutation Mayotte : un territoire agricole en mutation" : http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_D97611A01.pdf

Le Pays de Cocagne, Bruegel l'Ancien : http://www.wikiwand.com/fr/Pays_de_Cocagne

Documents pour le développement durable de l'Afrique à l'usage des ONG :

Le pays de Cocagne


Le jardin-forêt mahorais, la "forêt comestible", trouve un écho profond dans l'imaginaire culturel métropolitain, sous forme du pays de Cocagne, "une sorte de paradis terrestre, une contrée miraculeuse dont la nature déborde de générosité pour ses habitants et ses hôtes".
Bien sûr, le pays de Cocagne est un don de la nature, la "forêt comestible" mahoraise est l'oeuvre de ses habitants.

Le Pays de Cocagne, Bruegel l'Ancien, 1567,  52 × 78 cm, Alte Pinakothek, Munich, Allemagne.

samedi 21 mai 2016

Kwasa kwasa


Une contribution d'Amélie Barbey, éthnologue, IDEMEC (Institut d’ethnologie européenne, méditerranéenne et comparative) à la revue "Hommes & Migrations" sur les migrations en cours dans l'océan indien :

"Aujourd’hui, les flux migratoires de l’archipel des Comores vers les pays de la zone Océan indien tendent à se tarir. Seule Mayotte fait exception à la règle en raison de la faible distance spatiale qui la sépare de ses îles sœurs. (...) C’est la France, ou plus largement l’Europe, qui est généralement visée par les migrants. En effet, beaucoup partent afin de pouvoir remplir de coûteuses obligations qui leur sont imposées par la tradition, notamment en Grande Comore. Les séjours en Afrique de l’Est, à Madagascar ou dans les îles françaises de l’Océan indien ne leur permettent que difficilement d’amasser les sommes requises. D’autre part, la présence d’environ 200 000 de leurs compatriotes dans les grandes villes françaises assure aux nouveaux venus la possibilité d’un accueil et d’une aide à l’insertion. Les réseaux familiaux et villageois peuvent ainsi être sollicités dans les recherches d’un logement, d’un emploi, d’un conjoint… " Amélie Barbey, (2013).

Les contraintes sociales et culturelles de leurs terres d'origine, la possibilité de pratiquer une agriculture vivrière en étant employé par des patrons Mahorais, un accès même restreint au système public de santé, la scolarisation des enfants, la perspective de maigres salaires (150,00€ mensuels).
Ce sont là les motivations de migrants qui affrontent en kwasa kwasa les risques de l'océan et à présent un crise d'expulsions sans précédent.

En explicit, une conclusion lapidaire et un rien apocalyptique d'Hérodote (revue trimestrielle de géopolitique et de géographie fondée par Yves Lacoste) qui a le mérite d’être percutante si ce n'est nuancée :

"L'avenir s'avère d'autant plus sombre que les Mahorais de souche tendent à abandonner leur île aux immigrants illégaux. Ils usent de leur citoyenneté pour aller chercher une vie plus sereine à la Réunion ou en métropole (Marseille abrite plus de Comoriens que Mayotte).

Par une aberration singulière, les immigrants illégaux et leurs enfants, qui ne peuvent sortir de l'île légalement, pourraient bientôt devenir les seuls habitants permanents de l'île, aux côtés des policiers et administrateurs métropolitains." Hérodote, (2016).

Liens externes


Amélie Barbey, "Les migrations comoriennes dans l’ouest de l’Océan indien", Hommes et migrations, 1279 | 2009, p.154-164 : https://hommesmigrations.revues.org/344

Duflo Marie, Ghaem Marjane, "Mayotte, une zone de non-droit", Plein droit 1/2014 (n° 100), p.31-34 : https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2014-1-page-31.htm

Carayol Rémi, "Les enfants passeurs de Mayotte", Plein droit 1/2010 (n° 84), p.30-32 : www.cairn.info/revue-plein-droit-2010-1-page-30.htm

Math Antoine, "Mayotte, terre d’émigration massive", Plein droit 1/2013 (n° 96), p.31-34 : https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2013-1-page-31.htm

Hérodote, 25 avril 1841, "Mayotte, française par accident" : https://www.herodote.net/25_avril_1841-evenement-18410425.php

Wikipédia : kwasa kwasa

jeudi 19 mai 2016

Design & High Tech : le chombo


Le chombo, prononcé "tchombo", est l'outil par excellence des Mahorais. Servant principalement aux travaux agricoles, il est utilisé par tous et présent partout.

Sa lame lourde à double tranchant en acier forgé, son extrémité arrondie permettant de travailler les sols et son manche en bois de palétuvier en font un outil parfaitement équilibré adapté à la permaculture en milieu tropical.

À la différence des machettes destinées au prélèvement ou à la prédation, le chombo est un outil sophistiqué conçu pour façonner les multiples strates et associations végétales qui caractérisent les méthodes traditionnelles d'agriculture mahoraises.

Un outil unique, ergonomique, parfaitement adapté à ses usages, basé sur la culture et le savoir-faire local, ne nécessitant pas de composants importés, permettant de prendre soin des sols escarpés et fragiles et d'en exploiter les ressources avec une remarquable économie de moyens.

Le design du chombo relève de l’excellence technologique et écologique.




mercredi 18 mai 2016

Une pharmacopée à Mayotte



Les Études Océan Indien


Un article scientifique des Études Océan Indien, "Langues, savoirs et pouvoirs dans l’océan Indien occidental", sur les savoirs médicaux traditionnels ; "Recueil d’une pharmacopée à Mayotte, le savoir sur les plantes médicinales de Maoulida Mchangama"
Article établi par le service environnement de la Direction de l’Agriculture et de la Forêt (DAF) de Mayotte, de 2008 à 2010, à la demande de Maoulida Mchangama .

L’ethnobotaniste, Pascale Salaün qui a recueilli ces savoirs précise dans son article les motivations de Maoulida Mchangama :
"La démarche de Maoulida Mchangama de partager ses connaissances avec le public et les scientifiques répond à un double souci : celui de transmettre ce qu’il a reçu des parents et de leur rendre hommage, celui aussi d’être reconnu par ses enfants à la mesure de son savoir, qui n’est pas scolaire, mais qui a toute sa valeur.
On sent que Maoulida a souffert, comme toute sa génération, du rejet récent de la part de la jeunesse de tous les savoirs locaux qui semblent ne plus avoir de pertinence dans la vie moderne.
Alors, ce qu’il ne peut plus léguer à un de ses enfants, il a décidé de le léguer à tous, en espérant susciter l’intérêt de certains et de créer une autre filiation sous forme d’un lien intellectuel : ("Mwana tsi mpaka de wao wamdza, un enfant, ce n’est pas que pour ceux qui l’ont mis au monde")."
Il rappelle aussi plusieurs fois que "les mots ne finissent pas tant qu’on a encore un souffle de vie" (kalima kaikomo pindri roho kayalawa) et cette expression, dont le sens est qu’il faut lutter, lui sert à justifier sa démarche." (Pascale Salaün, 2012).

Maoulida Mchangama et Pascale Salaün, "Recueil d’une pharmacopée à Mayotte", Études océan Indien, 48 | 2012, mis en ligne le 30 septembre 2015 : https://oceanindien.revues.org/1770

http://www.cariboudagoni.fr/Plantes de Mayotte: http://www.cariboudagoni.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=189&Itemid=186

lundi 16 mai 2016

Le Banga




Wikipedia

"Un banga est une petite maison aux murs peints et aux inscriptions colorées à l'orée des villages mahorais.

Construire un banga est un rite de passage. À la puberté, les garçons quittent leurs parents et se bâtissent une case en terre avec des matériaux fournis par la famille. Après avoir été maçon, le jeune se fait peintre pour orner sa nouvelle case. Il cherche à surprendre et attirer une âme sœur dans une cabane enchantée."


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Liens externes


Mayotte à colorier, aux éditions du Baobab: http://www.editionsdubaobab.com, http://editionsdubaobab.over-blog.com

Le Maki de Mayotte


Le Maki de Mayotte, appelé aussi Ancoumba en kiboushi ou Comba en shimaoré, est un primate lémuriforme vivant en groupe composé de quatre à dix individus. Actif de nuit comme de jour, il se nourrit de fruits, de feuilles et de fleurs.

Animal social, le Maki communique par des cris différenciés, enterre ses morts (ou tout au moins les recouvre de terre ou de feuilles)  et ne présente aucune agressivité naturelle.

Le Maki passe la majorité de son temps dans les arbres et ne descend que pour boire de l'eau ou pour chercher un morceau de fruit tombé à terre. Pendant la saison sèche, le manque de fruits le pousse à entrer dans les habitations pour chercher de la nourriture et il ne craint pas de passer sur les fils électriques pour s'approcher.

Sous la pression de l’homme sur leur habitat naturel, les lémuriens quittent peu à peu les zones forestières pour occuper les champs où ils peuvent trouver facilement de la nourriture rentant directement en concurrence avec les agriculteurs. Bien que protégés par la convention de Washington et par l’arrêté préfectoral n° 347 du 7 août 2000, fixant la liste des espèces protégées à Mayotte, le Maki est en voie de disparition. En un peu moins de 30 ans, la population a perdu plus de la moitié de ses effectifs.


Les tortues



Le lagon de Mayotte est fréquenté tout au long de l'année par deux espèces de tortues marines :

  • La tortue verte (Chelonia mydas), herbivore, se nourrit d'algues et d'herbes marines qui poussent sur le platier.
  • La tortue à écailles ou imbriquée (Eretmochelys imbricata), omnivore, se nourrit de crabes, d'étoiles de mer, d'éponges, de corail, de méduses ou d'algues...

Elles sont faciles à distinguer: la tortue verte est la plus grande (150 cm pour les plus imposantes) et plus lourde (250 kg), avec un bec rond, tandis que la tortue imbriquée, plus petite (environ 1 m pour 130 kg) a un bec crochu.

L’observation la moins perturbatrice pour la tortue s’effectue de dos à une distance d’au moins 4 mètres (cette distance varie selon les individus observés). L’approche doit s’effectuer très lentement avec des mouvements très souples et des attitudes passives, il faut se faire remarquer par la tortue, sans la surprendre, il ne faut en aucun cas attenter des actions directes sur l’animal. La tortue peut ainsi s’habituer tranquillement à la présence de l’observateur et supporter cette présence pendant plusieurs heures. Après quelques minutes, la tortue se méfie de moins en moins et adopte un comportement quasi naturel. L’attention de la tortue sur l’observateur se refocalise lors de la reprise d’air, il est alors judicieux de se reculer un peu pour lui permettre de respirer.




Liens externes


Association Oulanga na Nyamba : https://oulangananyamba.com/
DDAF (Direction départementale de l’agriculture et de la forêt) : Les tortues marines de Mayotte

dimanche 15 mai 2016

"Décaser"

Chasse aux étrangers à Mayotte : mais que fait l'Etat ?
Une case en tôle détruite dans la ville de Koungou (ORNELLA LAMBERTI / AFP)

En décembre 2015, dans une commune au sud de Mayotte, un collectif d'habitants envoie un courrier à la mairie et à la gendarmerie demandant que toutes les personnes en situation irrégulière vivant dans la commune soient expulsées avant le 10 janvier 2016. Faute de quoi les habitants agiront par eux-mêmes.

Ce 10 janvier 2016, des groupes de manifestants parcourent le village, entrent dans les bangas, les petites habitations en tôles ondulées construites par les migrants d'origine comorienne ou malgache, et les saccagent, quelle que soit la situation administrative réelle de leurs habitants.

Le scénario se reproduit depuis à l'identique en différents points de l’île. Constitution de collectifs d'habitants, affichages dans les rues de tracts appelant à l'expulsion des migrants, courriers aux propriétaires exigeant l'éviction immédiate de locataires, manifestations, menaces, intimidations, logements détruits, enfants déscolarisés, familles à la rue, mise au ban du village des personnes qui s'opposent à ces violences.

Liens externes

Le Monde : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/05/18/a-mayotte-la-situation-est-extremement-preoccupante-juge-francois-hollande_4921615_3212.html

Libération : http://www.liberation.fr/france/2016/05/18/a-mayotte-la-chasse-aux-etrangers-se-poursuit_1453410

L'Express : http://www.lexpress.fr/actualites/1/styles/mayotte-plus-d-un-millier-d-etrangers-chasses-de-chez-eux-par-des-collectifs-de-mahorais_1793162.html

La Cimade : http://www.lacimade.org/mayotte-la-chasse-aux-etrangers-par-la-population-est-ouverte-et-couverte/